Que faire face à la commoditisation de ses produits ?
Lorsque faire plus de la même chose ne suffit plus
« Mais qu’est-ce qui se passe ? » se demande Francy Hihaut en observant la courbe des ventes du trimestre précédent ! Moins 15% pour la première fois depuis la création de l’entreprise il y a 70 ans !
L’entreprise a connu septante années de croissance ininterrompue jusqu’à obtenir la réputation de leader mondial de sa spécialité. Le succès de son produit phare lui a permis de se déployer dans le monde entier, faisant toujours plus de la même chose, simplement mieux.
Les actionnaires sont contents. Sans qu’ils se mêlent véritablement de la stratégie, l’entreprise leur rapporte du cash chaque année et c’est ce qui compte réellement à leurs yeux.
Des actionnaires traditionnels, en quelque sorte ! Avec une vision focalisée sur la Bottom line et le « profit ».
Tout aurait pu continuer de la même manière indéfiniment. Du moins, c’est ce que certains espéraient et voulaient croire.
Au même moment, le marché est envahi par des concurrents d’origines diverses. Certains offrent des copies de leurs produits, 50% moins chers. Moins bons certes, et garantis moins longtemps – mais suffisamment bons pour être attractifs. A notre époque qui recherche encore une garantie trentenaire pour un produit à moitié prix ? D’autres concurrents offrent des « services » à haute « Paix de l’Esprit » ajoutée et sources d’économie qui attirent les clients.
Soudain, l’entreprise passe d’une position de « Sur/Pétition » – grâce à un avantage compétitif unique – à une situation de « Compétition et de lutte pour la survie.
Un directeur général est alors engagé pour prendre les mesures requises. Et que croyez-vous qu’il fait ?
La même chose que des centaines de CEOs ont fait et continuent de faire de par le monde : mettre en place les mêmes vieilles solutions, celles que nous appelons les 4 R : Réagir, Restructurer, Re-engineerer et Relocaliser.
Quelques mois plus tard et quelques jobs en moins, l’entreprise est devenue ce que l’on appelle « Lean and Mean ». Sans toutefois avoir « inventé » son Futur.
- Elle a un produit excellent mais fabriqué à moindre coût ailleurs.
- Elle a une excellente maîtrise de sa production dans une logique traditionnelle de « Take-Make-Waste »
- Elle a une Value Chain bien structurée, essentiellement centrée sur son activité « cœur » : la manufacture ou la production.
Une seule chose manque : la réponse à la question: « A quoi pourrait ressembler notre Business dans le Futur ? Comment pourrions-nous nous déployer ? »
Inventer son ou ses Futur (s)
C’est à ce moment qu’ils décident d’entamer un processus d’Innovation Stratégique qui, en trois ans, les a menés à multiplier leur chiffre d’affaires par 5
Bien sûr, au départ, ils ne savent pas ce qu’ils vont trouver. On le sait rarement avant de l’entamer !
Bien sûr, ils veulent des réponses tout de suite alors qu’il s’agit d’abord de se poser les bonnes questions.
Ils souhaitent pouvoir « décider » avant d’explorer. Ils voudraient « Savoir » avant de « Voir » combien le monde autour d’eux a radicalement changé. Et va encore changer.
Ils sont anxieux de pouvoir « préserver » voire « accroître » leur part de marché alors que la vraie question est d’innover et de « créer de la Valeur ».
Un des actionnaires principaux veut absolument savoir, avant même de démarrer, combien le processus va lui rapporter. Il considère comme de la folie ce que nous lui disons, à savoir « le profit est la récompense de la Valeur créée ».
Quelques mois plus tard, après avoir vu les résultats, il nous serrera la main dans le couloir avec un grand sourire.
la Stratégie comme « invention et dialogue ».
Pour arriver à ce résultat spectaculaire, nous avons lancé un processus d’exploration avec une équipe large de personnes de tous niveaux. Nous avons travaillé par étapes ;
1) Créer les bons états d’esprits pour anticiper dans un monde d’incertitude
Quoi qu’ils en disent, peu de gens aiment explorer l’Inconnu, souvent parce qu’ils ne savent pas comment faire. Encore moins dans un environnement incertain où prédire le Futur est totalement impossible et où la réflexion stratégique consiste d’abord à se poser les bonnes questions plutôt que d’apporter les mauvaises réponses (souvent aux mauvaises questions).
Ensuite, la pression pour des décisionnaires est énorme : au bout du compte, cette équipe va devoir faire des choix décisifs pour le Futur de l’entreprise et de l’ensemble de son personnel. Décider sans avoir de cartes précises de ce qui va arriver – et alors que ce qui peut émerger dans ce monde instable n’est pas UN mais plusieurs futurs possibles – est difficile.
C’est pourquoi dans la plupart des entreprises, les équipes de réflexion stratégiques tentent de réduire l’incertitude de trois manières
- En réduisant la stratégie au management à court terme, ce qui mène à la réaction plus qu’à l’anticipation
- En considérant implicitement le futur comme une extrapolation du passé
- En faisant un plan stratégique « rigide » ou un roadmap allant de A à B, pariant ainsi dangereusement sur l’hypothèse d’UN contexte futur
Dans ces cas, le plan stratégique qui émerge est basé sur un ensemble de prédictions, sur l’analyse et la réflexion linéaire, et cela n’aboutit en général qu’à de l’Innovation incrémentale, des stratégies répétitives et commoditisées.
La première étape consiste donc à adapter les états d’esprits des stratèges au monde d’aujourd’hui. Dans notre cas, le CEO se montrait tellement ouvert aux divers questionnements que chacun a pu rapidement abandonner ses masques de protection en cours de processus.
Nous avons aussi étayé cette évidence : les décisions dépendent des perceptions qui sont plus ou moins « justes » et en phase avec le monde. Et nous avons boosté les capacités et états d’esprits créatifs de l’équipe
2) Focus et ambitions :
Dire que l’on va inventer le Futur est facile… mais partager une ambition, créer un espace de réflexion adéquat dans l’esprit de chacun est autre chose.
Si on veut vraiment faire de la stratégie et pas du « Management du Présent », la bonne question est : « Qu’est-ce qui va nous permettre de rester pertinent dans les 10 ou 15 prochaines années ? ».
Ça ne veut pas dire que l’on ne va rien faire à court terme. Cela veut dire que l’on va anticiper et ouvrir les esprits, c’est-à-dire former de meilleures perceptions et faire AUJOURD’HUI les meilleurs CHOIX STRATEGIQUES pour être à la fois robustes, flexibles et prospérer dans un monde complètement différent.
3) Choisir Les bonnes personnes
Tout varie selon la culture et la taille de l’entreprise. On peut avoir 10 personnes impliquées ou 100. Une des règles est que 30% des personnes présentes aient moins de 30 ans et/ou soient depuis moins de trois ans dans l’entreprise et que tous ceux qui participent à la réflexion stratégique soient heureux de le faire. Mais ceci est l’idéal et il est rarement de ce monde.
4) Mettre en place le bon processus supporté par les bonnes méthodes et outils
Une Vision commune commence par le partage des « cartes ».
Le cœur du travail stratégique est de régénérer les « cartes du Monde » de l’équipe, de les questionner, de les enrichir. Et de les partager.
Il s’agit pour l’équipe de changer de regard, de RE-percevoir leur Business et leurs opportunités, de créer une compréhension et une vision communes du Présent et des Futur possibles afin de faire de meilleurs choix.
C’est ce que nous appelons la stratégie comme “Invention” plutôt que la stratégie comme “Analyse”.. Cela se fait par l’association de la puissance de la pensée latérale, des Scénarios, de l’imagination avec “L’Art de la Stratégie” pour aider les stratèges à anticiper et à imaginer créativement les Futurs possibles plutôt que d’appliquer des réponses standards ou de prétendre prédire le Futur.
Nous avons donc entamé cette exploration de l’inconnu basée sur 4 mouvements structurés
1. VOIR: observer et décoder avec un regard frais le « microcosme » interne et le paysage stratégique émergent.
La première carte que nous avons dressée est la « Historical Map ». Tout le monde est-il d’accord sur les décisions qui on été prises, et les stratégies qui ont été mises en place – et par qui – pour nous amener où nous sommes aujourd’hui ? Qu’avons-nous négligé ? Qu’avons-nous sous-estimé ? Qui a décidé ? Suite à quoi ? Avons-nous été trop confiants ? Pas assez curieux ? Pas assez imaginatifs dans nos Business Models ?
Quels Business Modèles avons-nous appliqués ? Les avons-nous revus au fil des années ? Quel est notre modèle existant ? Depuis quand l’appliquons-nous ?
Pour quelles raisons ?
Nous avons aussi fait de nouvelles cartes des « acteurs » et des changements des paysages stratégiques. L’équipe a pris conscience de bien des changements dont personne dans l’entreprise n’avait vraiment mesuré l’importance. Des choses qui avaient commencé à se manifester parfois depuis des années comme l’importance croissante de l’écologie, des approches circulaires, le rejet des produits à base de pétrole, la recherche de solutions recyclables soit en amont soit en aval, le passage des « produits » vers les services et les systèmes, l’évolution de la Manufacture vers la Valuefacture, l’apparition de nouveaux concepts de Management et de Marketing comme l’Entreprise Libérée, la notion de « demand » ou la Sur/Pétition.Tous ces éléments – que personne n’a imaginés – mis ensemble expliquent les 15% de diminution. Et ce n’est qu’un début !
2. SENTIR les besoins, les opportunités, les risques et les contraintes dans un monde d’interdépendances.
L’équipe a pu sentir des besoins nouveaux et des opportunités réelles. Elle a pu considérer l’économie circulaire comme une formidable opportunités. Au lieu de se focalise sur la vente de leur produits, ils sont partis des besoins de leurs clients et de la valeur que ceux-ci recherchaient.
3. SAISIR créativement ces opportunités par une réflexion créative, non linéaire, non répétitive. C’est la carte des possibilités futures et la constitution d’un portefeuille d’Innovation.
L’équipe a pu concevoir des produits biodégradables, concevoir des services de leasing, de financement pour permettre à ses clients de bénéficier de solutions complètes. Ils ont imaginé un Business modèle complètement nouveau : démanteler les anciennes installations, les recycler, les remplacer gratuitement et se faire payer aux économies réalisées par leurs clients, grâce à un écosystème de partenaires.
4. AGIR autrement :
Une fois les choix faits – entre autres celui de s’aligner sur la Quadruple bottom line, on peut décider et agir « Back from the Future ».
Le Futur devient la cause du Présent et tout est mis en place pour atteindre le(s) Futur(s) souhaitable(s), souhaité(s) et partagé(s) par tous les membres de l’organisation. Voire les autres acteurs concernés, les « stakeholers ».
L’équipe a pu mettre en place une stratégie sur trois horizons pour « garder le meilleur » et « réinventer le reste pour créer son Futur ».
Elle est passée d’une entreprise industrielle typique, d’une « manufacture » focalisée sur ses produits à une « Hot House » créant une valeur exceptionnelle, une Valuefacture proposant avec un écosystème de partenaires, des solutions uniques à ses clients.
Ils ont pu ainsi vérifier que le profit est la récompense de la valeur créée, puisque cette valeur leur a permis de multiplier leur chiffre d’affaire par 5.